Les 4 Aphorismes
« Serait-il possible qu’un malade puisse être aidé par la simple lecture d’un traité médical ? »
Shantideva
His Holiness the Dalai Lama' waves to the audience at the conclusion of the day's teaching at St. Jakobshalle in Basel, Switzerland on February 7, 2015. Photo/Jeremy Russell/OHHDL www.dalailama.com
** Hinayana
** Niveau Intermédiaire
Les circonstances favorables dont nous bénéficions sur le plan mental nous ouvrent à la pratique spirituelle. Nous devons apprécier cette situation pour éviter de la galvauder. Parfois, une tendance à tout remettre au lendemain influence notre motivation à utiliser au mieux cette situation. Le remède à ces atermoiements est une méditation sur l’impermanence. Ce chapitre va étudier plus profondément cette pratique.
Au cours de l’enseignement sur les quatre nobles vérités, Bouddha insista d’abord sur l’impermanence quand il parla de la souffrance. Il fit de même lorsqu’il énonça les quatre aphorismes de sa pensée philosophique. Il commença par l’impermanence :
Tout ce qui est composé est impermanent.
Tout ce qui est souillé par les émotions aliénantes a une existence misérable.
Les phénomènes n’ont pas d’existence intrinsèque.
Le nirvana est paix.
Les problèmes et les désagréments découlent souvent d’une méprise sur la permanence de choses qui sont en réalité impermanentes. L’analyse de l’impermanence doit donc être approfondie. Pour aborder ce thème délicat, il est nécessaire de distinguer l’impermanence grossière de celle qui est plus subtile. Nous avons tous observé le changement des saisons, de notre corps, etc. Il s’agit là d’exemple d’impermanence grossière. Quand une tasse se brise, le continuum des moments qui forment son existence s’arrête. Pour une personne morte, le flux de la succession des moments de sa vie cesse.
Nous observons des transformations sur une semaine, un mois ou un an, les modifications apparentes sont irréfutables. Mais ces grandes périodes sont composées de phases de changements flagrants, nous pouvons en déduire que les choses évoluent, instant après instant : c’est l’impermanence subtile.
Bouddha se réfère, dans les quatre vérités et les quatre aphorismes, au principe d’impermanence subtile. Cette désintégration de chaque instant des choses repose sur une cause. Avec la méditation profonde sur l’impermanence subtile, nous découvrons que les phénomènes conditionnés par d’autres éléments ont une nature instable dès leur formation. Soyez patient pendant l’explication littérale des quatre aphorismes que je présente ci-dessous : cette connaissance a un impact considérable.
PREMIER APHORISME
Les textes bouddhistes sur la logique insistent souvent sur le fait que tout ce qui est créé de causes et de conditions est naturellement impermanent. L’étude cette assertion montre qu’il y a probablement une dichotomie d’idées : « résulte de causes et conditions » et « impermanent ». La première idée indique l’apparition nouvelle de quelque chose, tandis que l’impermanence correspond à un phénomène qui disparaît, s’arrête ou se décompose. Apparition et disparition ont un sens différent. Mais en poussant la réflexion plus loin, le fait qu’une chose apparaisse d’elle-même signifie qu’elle peut, à l’inverse, à n’importe quel moment, disparaître.
Dès son élaboration, un phénomène possède un caractère d’impermanence, puisqu’il peut s’arrêter à tout instant. Sa décomposition se rattache aux causes responsables de sa formation, rien d’autre n’est utile. Les éléments à partir desquels il se forme sont aussi à l’origine de sa décomposition.
Considérons d’abord deux moments de la formation d’une table, l’exercice est un peu compliqué, mais l’essentiel est d’y réfléchir posément. Lors du second moment, le premier moment s’est déjà désintégré. Tout simplement, il ne persiste pas. Ainsi, en considérant ce fait, dès le premier moment, nous pouvons voir la table qui se désintègre. Constater que le premier moment ne persiste pas revient à ce qu’il n’ait pas pu persister. Ainsi, le premier moment a pour essence la décomposition.
Quelles sont les causes de cette désintégration ? Il ne peut y avoir d’autres causes que celles qui ont permis la production de la table. Ces causes l’ont créée avec une propension à la décomposition. C’est le sens de l’assertion que tout ce qui résulte de causes et conditions est naturellement impermanent. Elle correspond au premier aphorisme : « Tout ce qui est composé est impermanent », et signifie que tout ce qui se crée est une rencontre momentanée de causes. En comprenant que les choses ont une vraie inclination à la décomposition, vous ne serez plus choqué par le changement qui se produit, même au moment de la mort.
DEUXIÈME APHORISME
Réfléchir à la désintégration des choses, instant après instant, nous oblige à constater que les personnes et les choses n’agissent pas en pleine autonomie, indépendamment. L’existence des phénomènes procède d’abord des causes qui les produisent ; leur disparition intervient, ensuite, sans qu’ils aient besoin de recourir à d’autres causes supplémentaires. Ils sont complètement dépendants des causes et conditions qui les produisent. Ils sont sous la dépendance de choses extérieures à eux-mêmes. Ils ne sont pas autonomes.
Puisque les effets sont relatifs aux causes, ce qui est favorable engendre des effets bénéfiques, et ce qui est défavorable produit des effets négatifs. Si je puis plaisanter, ne pas conclure que des parents indignes auront nécessairement un enfant insupportable, et à l’inverse, des parents respectables sous tous rapports ne donneront forcément naissance à un ange ! Les conditions et les causes sont pléthores pour construire les êtres que nous sommes devenus.
L’entité corps-esprit se forme à partir des actes et des empreintes karmiques des vies antérieures. Et ces actes sont nourris, en partie, par l’ignorance de la véritable nature des phénomènes, mais aussi par l’influence de la haine et du désir, etc. Sentiments dont l’origine est l’ignorance. Ainsi, notre vie présente n’est pas autonome, mais elle est sous l’emprise de causes antérieures, et de l’ignorance.
Le terme « ignorance » introduit un aspect négatif : il mentionne une absence de connaissance. Dans ce contexte précis, il se réfère aussi à une prise de conscience absurde qui déclenche une mésinterprétation des faits qui aboutit à une vie misérable. Cette misère ne se rapporte pas seulement aux sensations douloureuses, mais touche aussi l’ensemble des trois souffrances que nous avons étudiées plus tôt.
Selon le bouddhisme, l’environnement mondain et l’entité corps-esprit qui y vit sont façonnés par des actes sous l’aval de l’ignorance. Chaque phénomène sous l’emprise de l’ignorance a une essence de souffrance. C’est l’affirmation contenue dans le deuxième aphorisme : « Tout ce qui est souillé par les émotions aliénantes a une existence misérable ».
TROISIÈME APHORISME
La création factuelle d’une chose suppose qu’elle soit reliée à des causes particulières. Or les choses apparaissent comme autonomes. Mais cette apparence est fallacieuse. L’entité corps-esprit semble exister sous le contrôle d’un pouvoir intrinsèque, mais c’est une illusion. Il est vide de l’apparence qui lui est attribuée.
La confrontation duelle entre réalité et apparence prouve que la souffrance peut être éliminée, car elle se fonde sur une perception erronée de la nature des choses. L’ignorance nous incite à croire que les gens et les choses sont indépendants. Mais cela n’est pas juste. Elles et ils sont démunis d’un tel statut. C’est la notion contenue dans le troisième aphorisme : « Les phénomènes n’ont pas d’existence intrinsèque. »
QUATRIÈME APHORISME
En acceptant l’idée que les choses qui se manifestent existent de façon autonome est tout simplement une erreur, vous réalisez qu’il est sage et avisé de percevoir les phénomènes comme vides d’une nature inhérente. Ignorance et connaissance sont des forces contraires, quand une se renforce, l’autre s’affaiblit. L’ignorance étant, en plus, mal fondée, elle s’élimine avec l’accoutumance à la sagesse.
Développer la connaissance met un terme à la pollution de l’ignorance pour atteindre le nirvana. C’est cette idée qui est refermée dans le quatrième aphorisme : « Le nirvana est paix », l’ultime joie.
Méditation contemplative
Les quatre aphorismes, qui résultent du principe fondamental sur l’impermanence subtile, ont un énorme impact.
En considérant que :
1. Les choses formées à partir de causes évoluent à chaque instant.
2. Les causes qui créent un phénomène ont une inclination à la décomposition dès l’origine.
3. Les phénomènes impermanents sont complètement sous l’emprise de causes et conditions dont ils résultent.
4. Notre entité corps-esprit n’est pas autonome mais sous l’emprise de causes antérieures, en particulier l’ignorance. Elle est donc sous le joug de la souffrance.
5. L’entité corps-esprit qui semble être autonome occulte ainsi la confrontation duelle entre l’apparence et la réalité.
6. La sagesse fait appel à la perception du phénomène comme vide d’une nature inhérente. C’est un moyen pour annihiler la conception erronée qui est issue de l’idée fallacieuse de l’indépendance des phénomènes.
7. Le développement de la sagesse ouvre la voie vers une paix au-delà des frontières de la souffrance, le nirvana.
LA CONDITION DU SUCCÈS
Après avoir répété la méditation sur les aspects négatifs du cycle de l’existence qui cadre nos vies dans le cycle de la naissance, la vieillesse et la mort, vous pouvez éventuellement rechercher une libération au tréfonds de votre être, comme un prisonnier désespéré qui cherche à s’évader de sa geôle. Qu’importe la difficulté rencontrée lors de votre première tentative à définir un tel état mental, avec du courage, vous y parviendrez. Shantideva dit :
« Il n’y a rien avec le temps qui ne devienne plus facile, quand vous l’avez assimilé. »
Avec le temps, vous n’aurez plus d’idées superficielles comme : « Oh, je veux vraiment cela! », « C’est réellement génial! », etc.
Si la vision pénétrante n’atteint pas ce degré, et que la prise de conscience reste au niveau des mots, aucune transformation spirituelle n’aura eu lieu. Et l’expression de votre compassion sera incomplète. Ayant compris les problèmes relatifs au cycle de l’existence sous plusieurs angles, les bodhisattvas refusent de quitter le cycle de l’existence malgré un intense désir intérieur de se libérer, motivés par la compassion, ils renaissent pour pouvoir aider les êtres vivants. Ils délaissent leurs aspirations personnelles et font progresser le bien-être des autres.
Abordons maintenant le niveau de la pratique spirituelle de la compassion dans le prochain chapitre, du niveau supérieur de la pratique.
Sa Sainteté le Dalai-Lama