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Bouddhisme : Inde et Tibet

« Comment ceux qui n’auraient pas songé à leur propre bien-être au préalable, ne serait-ce qu’en rêve, Pourraient songer à un tel état d’esprit ? Créez-le pour l’amour des autres. » Shantideva

His Holiness the Dalai Lama stops to bless a young child as he leaves SOS TCV Choglamsar in Ladakh, J&K, India on August 7, 2016. Photo/Tenzin Choejor/OHHDL www.dalailama.com

Entre les mille bouddhas qui sont apparus dans notre ère, Shakyamuni est considéré comme le quatrième. Selon les écritures, les trois premiers bouddhas se sont manifestés à des périodes de l’humanité datées respectivement de huit milles ans, vingt milles ans et soixante milles ans. Les découvertes de la science contemporaine forcent à reconsidérer l’histoire du bouddhisme établie sur une légende. Des squelettes humains datant de millions d’années contredisent aussi l’allégation des chrétiens que le monde fut créé il y a cinq à dix millénaires. Quand aux textes bouddhistes, ils parlent de périodes bien trop reculées comparées au développement de l’humanité dans ce monde. Et les premiers hommes seraient apparus bien plus tôt que les trois premiers bouddhas. Il faudrait donc réviser l’histoire du bouddhisme en tenant compte de la théorie de Darwin.

 

Les bouddhistes doivent admettre les contradictions qui existent entre les mesures des scientifiques sur l’âge de la Terre et les assertions de certains écrits, comme dans Le Trésor de l’Abhidharma de Vasubandhu, qui situent certaines successions de renaissances dans un temps délimité physiquement. Nier les évidences pourrait contredire ce qui est physiquement observé, la philosophie bouddhiste a pour principe de ne pas s’opposer à la logique, et de ne pas s’opposer par conséquent à ce qui est observé. Les espaces-temps définis dans certains écrits ne doivent pas être pris à la lettre.

 

Quoi qu’il en soit, les enseignements du Bouddha sont divisés en textes sacrés et en exercices de prise de conscience. Ils mènent à la moralité, la méditation profonde et la sagesse. Avec les écrits sacrés, vous apprenez comment générer dans le flux mental ces enseignements, afin de les pratiquer, et éventuellement atteindre leur réalisation. Pour pratiquer, le savoir-faire est indispensable, et pour cela, il faut étudier les textes. Les grandes figures du bouddhisme d’autrefois assistaient à un très grand nombre d’enseignement avant de développer leur vaste connaissance. En mettant en pratique ce qu’ils avaient écouté et étudié, ils ont mis en œuvre directement ces enseignements, sous forme d’expériences.

 

Nalanda

 

À travers les siècles, les enseignements du Bouddha ont été transmis, grâce aux maîtres yogis, d’une grande institution d’études bouddhiques appelée Nalanda. C’est le plus célèbre et le plus important établissement en Inde pour appréhender, perpétuer et faire progresser le système des enseignements du Bouddha dans leur globalité. Le centre d’études a vécu l’apogée de sa renommée sous la direction de Nagarjuna. Nombre de grands auteurs de textes bouddhiques en sanskrit sont des maîtres issus de Nalanda. Un autre grand centre d’études, Vikramalashila, lors de sa création se référa aux textes composés à Nalanda et à ses méthodes d’études, en instituant des changements mineurs.

 

Les personnages illustres indiens qui ont inspiré les quatre grandes écoles tibétaines sont Santarakshita et Padmasambhava pour l’école des Anciens des Nyingmapa, Virupa pour l’école Sakyapa, Naropa pour l’école Kagyupa, et Atisha pour les Gelugpa. Tous furent de grands érudits sortis de Nalanda ou de Vikramalashila. Et pour nous, les ordres religieux du Pays des Neiges conservent un lien affirmé avec l’héritage de Nalanda.

 

Le grand sage indien Vasubandhu affirmait que seule la pratique permet de s’approprier, de préserver et de propager les enseignements menant à la réalisation : il n’y a pas d’autre solution. En Chine, les bouddhistes adeptes de l’école de la Terre Pure étudient les enseignements du Bouddha dans le dessein de renaître sur cette Terre pure et adressent leurs plus ferventes prières dans ce sens. Parfois, en Chine et au Tibet, certains s’efforcent de méditer par la pratique de l’absorption méditative sans accorder beaucoup d’attention à l’étude des soutras. L’université de Nalanda considère qu’il est important de s’investir dans une étude profonde des textes et de les mettre à exécution ensuite. (Les Tibétains se polarisent quelquefois sur la construction d’un temple ou d’un monument religieux et ne s’engagent ni dans l’étude ni dans la pratique pour l’amélioration de leur bien-être. Construire un temple est appréciable, mais ce n’est pas l’essentiel de l’activité religieuse.)

 

Les étapes de la voie littéraire

 

L’introduction majeure des pratiques de la vue profonde et des actes de compassion au Tibet a été réalisée au VIII siècle grâce à Santarakshita, qui fut étudiant à l’université de Nalanda avant d’être invité au Tibet par le roi Trisong Detsen. À cette période, le maître indien Padmasambhava jouissait aussi d’une grande réputation à cause de sa lutte contre les obstacles qui freinaient la propagation de la doctrine bouddhiste au Tibet. L’érudit Santarakshita, le maître Padmasambhava et le roi Trisong Detsen sont célébrés comme la triade des fondateurs du bouddhisme tibétain. Le bouddhisme s’était déjà, depuis sept siècles, propagé en Chine.

 

Le maître yogi indien Atisha, né au XI siècle au Bengale dans une famille royale, fit ses études à Vikramalashila avant de se rendre au Tibet. À son arrivée, le pays s’était presque totalement converti au bouddhisme. Il n’eut donc pas à combattre d’autres croyances ou à défendre les enseignements et les idées véhiculées par le bouddhisme. Compte tenu des sensibilités et de l’intérêt du peuple tibétain pour cette religion, mais aussi, en ne négligeant pas l’isolement humain dû aux caractéristiques géographiques du pays, les Tibétains avaient besoin d’un ensemble bien structuré d’instructions concrètes. Atisha rédigea à leur intention un texte appelé La Lampe de la voie de l’éveil.

 

En Inde, Il est établi que les étapes de la pratique spirituelle s’organisent selon trois degrés de développement de la conscience. En revenant à cette idée d’origine, Atisha proposa aux Tibétains un système en trois étapes selon le niveau de motivation intérieure : capacité inférieure, moyenne et supérieure. Ces trois degrés s’appuient sur le principe que les enseignements du Bouddha ont pour finalité d’aider les vivants à accomplir des objectifs souhaitables provisoires et ultimes. Le but temporaire est d’obtenir une vie agréable favorable à l’exercice de la pratique spirituelle dans le cours du cycle des existences, pour finalement atteindre la libération du cycle des naissances et réaliser l’omniscience altruiste.

 

En définitive, ces trois niveaux de pratiquants recherchent à éliminer trois degrés de souffrance :

 

1. Les douleurs physiques et mentales (des maux de têtes aux douleurs dorsales jusqu’au chagrin);

 

2. La souffrance engendrée par le changement. Les plaisirs ordinaires résultent en général d’un soulagement qui suit la douleur. Lorsque vous vous asseyez après une trop longue marche, par exemple. Ces plaisirs n’ont rien d’agréable en eux-mêmes. Et nous faisons une erreur d’appréciation en pensant que ces plaisirs éphémères ont intrinsèquement une nature de plaisir. Si être assis possédait en soi une réalité de confort, après un long moment, nous devrions être de plus en plus à l’aise. Mais, au contraire, ce coté agréable devient vite douloureux. Pouvez-vous trouver une seule pratique agréable qui, dans l’excès, ne se transforme pas en souffrance ? Manger, boire ou tenir une joyeuse conversation, cela semble fort satisfaisant au commencement, nous nous en réjouissons. Mais, dans la durée, cela devient ennuyeux et vire en une douleur intolérable. Finalement, les plaisirs mondains semblent fades, car ils sont inconstants. Aryadeva dans les Quatre Cents Stances écrit :

 

Le plaisir, quand il se prolonge

Se métamorphose en souffrance

La souffrance quand elle se prolonge

Ne se métamorphose jamais en plaisir.

 

En y réfléchissant, vous trouverez que les joies ordinaires ont une nature profonde de souffrance. Vous ne pouvez pas vous en satisfaire.

 

3.  La souffrance permanente des états conditionnés. Elle se réfère à l’idée que le corps et l’esprit opèrent sous la force d’émotions destructrices comme le désir et la haine, et sous l’emprise d’actes (karma) comme le meurtre ou le vol induits par ces mêmes émotions. Les états émotifs neutres (sans plaisir ni douleur) sont aussi sous l’influence des causes et conditions, hors de contrôle. C’est l’origine profonde de l’ensemble des expressions de la souffrance. Le grand sage Tsongkhapa dit :

 

« Un porteur sous sa lourde charge ne peut être heureux tant qu’il la supporte. Pareillement, vous continuerez à souffrir tant que vous porterez le poids de l’entité corps-esprit affecté par les émotions destructrices et les traces karmiques qui les génèrent. À certains moments, l’impression de souffrance est absente. Pourtant, le corps-esprit est toujours fermement enfermé dans les tendances problématiques de la souffrance et des émotions aliénantes. La souffrance omniprésente conditionnante est toujours là, et maintes douleurs sont prêtes à surgir d’innombrables manières. Puisque cette souffrance d’une telle potentialité imprègne la moindre des douleurs, tout en étant à l’origine des deux autres formes de souffrance, méditez souvent sur elle pour pouvoir en comprendre la réalité profonde et vous en détourner. »

 

L’objectif des pratiquants de capacité inférieure est d’éviter les pires souffrances physiques et mentales de la transmigration vers l’état d’animaux, de fantômes faméliques ou dans le monde des enfers en atteignant un statut supérieur dans le cycle des existences d’hommes ou de dieux. Les pratiquants de capacité intermédiaire cherchent à éliminer les trois niveaux de souffrance en se libérant des différentes formes du cycle des renaissances, et atteignent un état au-delà de la souffrance de la vie induite par les émotions aliénantes. Les pratiquants de capacité supérieure veulent effacer les empreintes laissées dans le mental par ces émotions destructrices, qui empêchent d’atteindre l’état de la pleine perfection de l’omniscience altruiste et qui freinent leurs efforts d’aider les autres. Ils ne cherchent pas à se libérer du cycle de l’existence mais veulent atteindre le grand éveil de la bouddhéité.

 

C’est ainsi qu’Atisha montre comment la multitude des méthodes pour pratiquer le bouddhisme sont réparties en trois niveaux qui correspondent à une progression de la capacité mentale – inférieure, intermédiaire et supérieure. Il est indispensable de maîtriser les pratiques du niveau inférieur pour passer au suivant. Le maître indien Shura dit :

 

« Une personne ayant une capacité supérieure doit connaître toutes les pratiques; ce sont les chemins de la voie de l’intention suprême de se libérer. »

 

Passer par les trois niveaux de pratique est impératif pour réaliser le but convoité : l’état de perfection de sagesse que le Bouddha Shakyamuni a atteint. La quête personnelle de la bouddhéité répond à la volonté d’offrir aux autres la meilleure aide. Pour y arriver, il faut identifier l’essentiel : l’émission du vœu altruiste d’être éveillé, assez puissant pour chérir les autres plus que soi-même. Par conséquent, les enseignements du Bouddha sont en relation directe ou indirecte avec l’idée d’engendrer cet état d’esprit altruiste, de le renforcer : ils le nourrissent.

 

Les pratiques bouddhistes destinées à générer l’altruisme sont intégrées au programme des enseignements pour les êtres à capacité supérieure. Néanmoins, pour motiver une grande compassion envers la souffrance des autres, il est indispensable d’en identifier la forme principale, qui est la souffrance rémanente issue du conditionnement inhérent à tous les composés. Il est plus facile de la déterminer d’abord en soi. Aussi, avant d’essayer de développer une grande compassion, il faut émettre le vœu de sortir du cycle de la souffrance. Dans La Marche vers l’éveil, Shantideva dit :

 

« Comment ceux qui n’auraient pas songé à leur propre bien-être au préalable, ne serait-ce qu’en rêve, Pourraient songer à un tel état d’esprit ? Créez-le pour l’amour des autres. »

 

La recherche de la délivrance personnelle du cycle de l’existence figure dans les enseignements destinés aux personnes à la capacité intermédiaire. Celui qui s’emploie à échapper au moindre statut du cycle de l’existence est plus avancé que le débutant, dont le seul but est d’obtenir des renaissances agréables. Pour s’engager dans cette voie, il faut saper auparavant l’attachement excessif aux apparences superficielles de la vie. Les techniques pour y parvenir sont proposées dans les enseignements destinés aux personnes ayant une capacité inférieure.

 

Comme vous pouvez le voir, chacune de ces pratiques est un tremplin pour évoluer vers un autre point de vue. Alors pourquoi tout cela n’est-il pas regroupé en un seul et unique niveau permettant d’atteindre la capacité supérieure ? S’il en était ainsi, les pratiquants par manque d’humilité, dès le commencement, penseraient déjà être en possession d’une grande capacité. Avec cette division en trois catégories distinctes, ils peuvent réellement situer leur propre degré d’avancement. En outre, ceux qui qui n’aspirent pas à de hauts niveaux de pratiques peuvent y trouver tout de suite ce dont ils ont besoin. Puisque chaque niveau est présenté en fonction d’objectifs à accomplir, de raisons précises et de techniques indispensables pour y arriver.

 

Atisha, dans La lampe de la voie de l’éveil, propose une méthode complète de la pratique qui englobe les différents niveaux pour progresser vers la réalisation du plein éveil. Puisque son livre renferme la gamme complète des techniques tirés des enseignements du Bouddha, les principaux courants du bouddhisme tibétain ont pris à cœur de perpétuer les enseignements d’Atisha en se référant, à la base, à des descriptifs comparables de la voie.

 

Méthodes d’enseignement

 

Lorsque qu’un gourou ou un lama compétent propose de guider un élève expérimenté, en rapport avec son état spirituel, l’étudiant n’a pas nécessairement besoin de se livrer à l’étude de multiples textes. Après avoir reçu du lama des instructions formelles afin de supprimer les obstacles à sa progression, l’élève se concentre sur la méditation. Le lama a donné des conseils pertinents pour guider l’élève dans son évolution spirituelle. Dans d’autres cas, un lama ayant développé un très haut potentiel de spiritualité peut expliquer ses prises de conscience à des étudiants aptes à les comprendre, sous formes de chants sacrés, comme ceux qui sont composés par les yogis indiens, à l’instar de maître Sahara, ou les lamas dans l’ensemble des écoles bouddhiques tibétaines.

 

Une autre méthode d’enseignement s’inspire des riches traités ou commentaires écrits par de brillants professeurs comme les célèbres dix-sept pandits indiens de Nalanda. Il puise dans les textes fondamentaux comprenant La Précieuse Guirlande des avis au roi de Nagarjuna,Les Cinq Traités de Matraya, Les Cinq Grands Traités d’Asanga, La Marche vers l’Éveil de Shantideva, etc. Les enseignements se divisent en deux modes : ceux qui s’adressent à des étudiants en fonction de leur capacité et ceux qui ont une approche globale. Les instructions aux étapes de la voie d’Atisha et d’auteurs tibétains comme Tsongkhapa sont des enseignements basés sur une approche générale dans la tradition de l’université de Nalanda.

 

Si les enseignements adaptés à certains élèves sont examinés dans leur ensemble, il est possible qu’en apparence ou au sens littéral ils soient impropres, puisque l’objectif est, dans ce cas, de répondre d’une manière appropriée aux besoins spirituels de l’élève. Bouddha utilisait, lui aussi, cette méthode d’enseignement adaptée. La méthode globale est pourtant plus importante que l’adaptation des enseignements. La connaissance des principaux grands textes canoniques permet de découvrir l’idée qui se cache derrière les enseignements adaptés.

 

Plus grande est la familiarité avec l’ensemble des textes canoniques, moins les erreurs d’interprétation sont probables. Car il est dangereux de se contenter du sens littéral d’un seul passage sans l’avoir replacé dans son contexte général. Ayant cette notion à l’esprit, Tsongkhapa dit, en préambule de son Grand Traité sur les étapes de la Voie :

 

De nos jours, les élèves qui ont fait des efforts

Dans la pratique du yoga ont peu étudié,

Et les élèves qui ont étudié beaucoup ne sont pas

Aptes sur les points essentiels de la pratique.

En ayant une idée tronquée des écritures sacrées,

La plupart sont incapables

D’avoir un raisonnement critique sur leur portée.

 

En ce qui me concerne, j’ai tiré un grand profit de l’étude et de la pratique d’une grande diversité d’enseignements bouddhiques.

 

Être pragmatique est essentiel

 

Pour pratiquer, il faut étudier. Mais dans l’étude, il faut savoir extraire la substance concrète du texte. Il ne suffit pas d’être érudit. Car le fait de ne pas pouvoir articuler vos connaissances pour les mettre objectivement en œuvre donnera l’impression que votre cerveau est brisé en multiples morceaux.

 

Avant d’écrire Le Grand Traité sur les étapes de la Voie, Tsongkhapa s’initia aux enseignements selon les trois lignées de transmission spirituelle d’Atisha contenues dans La Lampe de la voie de l’éveil : une lignée de transmission où sont exposés les textes canoniques ; une deuxième plus courte mais toujours en lien avec les mêmes écrits ; et une troisième plus abrégée, résumant l’essentiel des préceptes destinés aux étudiants selon leur capacité. L’école qui suit ces trois lignées de transmission s’appelle « La parole comme instruction » ou Kadam. Chaque parole du Bouddha est considérée comme une instruction à suivre dans sa pratique spirituelle. Le célèbre yogi tibétain Jangchup Richen disait : « Comprendre les textes canoniques comme des instructions pour la pratique. »

 

Avec ce point de vue, vous percevez comment les pratiquants décrites dans d’autres textes s’ajustent dans le cadre de la voie de l’éveil. Cette appréhension globale des niveaux de pratique vous préserve de la subjectivité de mépriser, par exemple, un texte parce qu’il ne concerne pas les niveaux supérieurs de la voie. L’ensemble des techniques est indispensable pour aider chacun à atteindre la bouddhéité, à des moments différents sur le chemin de la réalisation. Ces exercices sont élaborés pour que les esprits les plus tourmentés, grâce à des exercices progressifs, passent à des stades de paix intérieure de plus en plus forts. La lecture des paroles du Bouddha, ou les commentaires qui en découlent, servent à mieux comprendre quelles pratiques nous aident à réaliser provisoirement des vies favorables dans le cycle des naissances, qui ouvrent la possibilité d’en obtenir la libération qui mène à la réalisation de l’omniscience altruiste de la bouddhéité.

 

Des personnes n’ayant pas ce point de vue global, dans des pays où le bouddhisme s’est répandu, avancent que le Bouddha n’est pas à l’origine de certains textes. Ils placent ceux qui les acceptent comme tels dans une position où ils doivent prouver leur origine, et créent ainsi des controverses, des querelles, etc. Une subjectivité analogue s’affiche dans des écoles du bouddhisme tibétain qui revendiquent l’idée qu’un nombre limité d’enseignements suffit et rejettent les autres comme superfétatoires. (J’imagine que des écoles bouddhistes rencontrent le même problème dans d’autres pays.) Cela arrive si l’on perd de vue que les textes canoniques, dans leur diversité, sont des instructions ou des préceptes, sans contradiction. La méfiance à l’égard des émotions destructrices est de rigueur, comme à l’encontre du désir qui nous rend supérieurs aux autres. Ces émotions conflictuelles sont puissantes, prêtes à infléchir nos efforts les plus profonds.

 

Les textes canoniques, sources des enseignements bouddhistes, ne conviennent pas à une application dans la pratique quotidienne au stade où vous êtes. Nous avons besoin de conseils d’autres origines. Si vous considérez que les textes canoniques sont une ressource pour les débats philosophiques avec d’autres, tandis que les textes plus courts fournissent des éléments à la pratique, c’est une erreur magistrale. La totalité des paroles du Bouddha et les commentaires associés sont indispensables pour atteindre l’éveil. Et vous devez découvrir les moyens de les utiliser comme des instructions pour la mise en œuvre de la pratique, maintenant ou plus tard. Comme il serait ridicule d’étudier une chose et d’en pratiquer une autre. Au minimum, un enseignant très qualifié doit élaborer un projet de la future progression spirituelle qui influera sur votre cheminement.

 

Les niveaux de la pratique

 

Sur le chemin progressif de l’éveil, les étapes inférieures procurent les bases fondamentales qui servent à développer une volonté profonde de protéger un nombre abondant d’êtres vivants. Bouddha a certes enseigné à des élèves, en fonction de leur disposition mentale, de se contenter de rechercher une paix et un bonheur intérieurs, les empêchant ainsi de multiplier efforts et objectifs. Néanmoins, le bonheur personnel n’est pas la priorité de la voie progressive de la réalisation. Pour soi, les efforts et les buts nécessaires sont vraiment limités, mais quand il s’agit du bien-être des autres, ils sont multiples. Voilà l’état d’esprit altruiste considéré comme l’attitude du bodhisattva. En réalité, si vous faites peu d’effort à l’égard des êtres vivants, vous ne respectez pas l’engagement bouddhiste qui demande une attitude altruiste constante.

 

Je suis impuissant. Mais je constate que nous nous contentons souvent de simples souhaits et de prières pour le bonheur d’autrui. Si nous sommes en cause, nous faisons n’importe quoi pour améliorer notre sort, et non simplement émettre des souhaits !

 

Explication préliminaire

 

Commençons par regarder plus précisément les trois niveaux d’enseignements. À cette fin, je vais me référer au Grand Traité des étapes de la Voie de Tsongkhapa, comme à sa version abrégée, l’Exposé des étapes de la Voie. Tsongkhapa était un grand érudit. Il a rédigé une œuvre en dix-huit volumes, relativement peu importante en comparaison des travaux de certains autres maîtres tibétains. En revanche, ses travaux excellent en qualité. Ses commentaires des textes canoniques, en étant concis, sont aussi étonnement pénétrants. Il insiste sur les points difficiles, citant par exemple, dans son exégèse sur la sagesse de la vacuité, des extraits de commentaires indiens qui sont parmi les plus difficiles à interpréter. Quand il présente la théorie de l’esprit seul, dans son livre L’Essence de l’éloquence des enseignements interprétatifs et définitifs, il se sert du chapitre sur la Réalité tiré de l’ouvrage d’Asanga, Les Terres des bodhisattvas, court extrait d’un commentaire très long aux parties souvent absconses. Là où un doute ou des incompréhensions persistent, il insiste. Son niveau d’érudition est véritablement extraordinaire.

 

En plongeant dans les écrits de Tsongkhapa les plus tardifs, ceux de la fin de sa vie, on perçoit la compréhension qu’il a acquise dans la mise en œuvre des enseignements majeurs, ce qui établit clairement son haut niveau de réalisation. En termes de connaissance des écrits sacrés et de réalisations concrètes, il a atteint un degré de développement mental très élevé, comme un grand érudit et adepte parfait du bouddhisme. Ses derniers ouvrages révèlent aussi son intégrité, car il n’hésite pas à prendre des positions différentes, et quelques fois opposées, si l’on se réfère à d’autres œuvres écrites plus tôt. Il résiste à l’opiniâtreté et à l’amour-propre.

 

Sa Sainteté le Dalai-Lama

 

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