La Bouddhéité
Puis-je à chaque instant être disponible pour l’amour des autres
Comme la terre, l’eau, le feu, le vent, les remèdes et les forêts sont disponibles pour tous.
*** Mahayana
*** Niveau Avancé
Jadis, en considérant l’état du monde à travers le temps, des humains ont dû perdre espoir dans ce qu’ils auraient voulu accomplir grâce à leurs capacités ; ils étaient vaincus et brisés par le découragement. À ce moment-là, ils en vinrent à croire à ce qui est invisible à la perspicacité de l’œil, et placèrent ainsi leur espoir dans quelque chose hors du champ de la vision normale. Voilà probablement comment se sont développés les premiers groupes religieux.
À un moment opportun du progrès de la pensée humaine, Bouddha est apparu en Inde, après avoir exercé pendant des vies les pratiques altruistes du bodhisattva. Selon l’autobiographie du Bouddha Shakyamuni, telle qu’elle est connue dans le monde entier, il est né d’une famille royale qui chercha à le protéger de la vision des souffrances du monde. Mais le prince réussi à croiser les ravages de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Il décida de se mettre en quête de techniques pour se libérer de ces souffrances, et il expérimenta celles qu’il trouva. À vingt-neuf ans, il s’enfuit du palais et délaissa les habits princiers de sa lignée royale, abandonna sa vie de famille et coupa ses cheveux. Pendant six ans, il se plia à l’ascétisme pour atteindre un état de concentration méditative, et finalement devint éveillé sous l’arbre de la Bodhi à Bodgaya.
Bouddha resta silencieux sur ce qu’il venait de réaliser pendant quarante-neuf jours. Mais, il recherchait les disciples appropriés à qui transmettre son expérience. Il en choisit cinq qui reçurent son enseignement sur les quatre nobles vérités. Puis, après quarante-cinq ans d’enseignement, il s’est paré des qualités qui marquèrent son passage au nirvana à l’âge de quatre-vingt-un ans.
Son enseignement, qui émane des quatre nobles vérités, fut dévoilé à un moment crucial de l’histoire humaine. Ses idées étaient tellement pertinentes et pleines de sens qu’une religion exceptionnelle – qui repose sur les quatre vérités – est apparue pour s’épanouir jusqu’à nos jours. Les êtres humains de la terre entière, qu’ils soient bouddhistes ou non, savent qu’une personne du nom de Bouddha Gautama est loué pour ses éclaircissements uniques et profonds sur la nature des êtres et des objets, et pour son enseignement afférent à la motivation altruiste de devenir éveillé, qui engage à chérir les autres plus que soi-même.
Les textes de sa doctrine mettent l’accent sur l’amour, la compassion et la motivation altruiste d’atteindre l’éveil (sous le nom de Grand Véhicule). Ils présentèrent des pratiques que Bouddha a expérimentées, vie après vie, pendant trois périodes d’innombrables éons, pour parachever l’accumulation du mérite et de la sagesse, afin d’atteindre la perfection. Si le résultat de cette pratique altruiste effectuée sur si longue période était simplement un enseignement de quarante-cinq ans, comme l’histoire de la vie de Bouddha le présente, cela serait disproportionné par rapport à la finalité de l’éveil, qui exige une grande compassion pour aider un nombre incalculable d’êtres. À la fin de sa vie, lorsque Bouddha s’éteignit, si sa conscience s’est dissipée, comme certains l’affirment, cela serait sans rapport avec la doctrine, car le plein éveil a la singularité de rechercher à accomplir spontanément le bien-être des autres, sans effort, aussi longtemps que l’espace existe.
Bien sûr, si nous pensons que le continuum de la conscience, dont la nature est lumière et connaissance, ne saurait être rompu, nous pouvons comprendre que cela est impossible. L’esprit clairvoyant étant né d’un mental erroné, avec l’élimination progressive de la méprise, ce mental pénétrant et cognitif devrait lui aussi s’éteindre. Mais la clairvoyance et la conception erronée diffèrent totalement, quand la sagesse anéantit l’ignorance, rien ne s’oppose à la continuité de l’esprit fondamental. Si le mental éveillé venait à disparaître, cela serait alors contradictoire.
Réaliser tout en même temps
L’éveil n’est pas seulement une libération des émotions négatives, qui induisent le processus du cycle de l’existence, mais aussi l’élimination de tendances conditionnantes élaborées dans le mental par ces émotions aliénantes. La présence de ces subtiles tendances ou forces omniprésentes tapies dans le mental est perceptible : chaque fois que les phénomènes conventionnels apparaissent dans le mental, la vérité absolue n’est pas manifeste, et dès qu’elle l’est, ces phénomènes illusoires ne se forment pas. En définitive, bien que vous ayez atteint une profonde compréhension au point d’être en mesure de réaliser directement la vérité, au cours de cette profonde réalisation, les autres phénomènes n’apparaissent pas dans le mental. Mais, plus tard, au moment où un phénomène conventionnel surgit dans le mental, vous ne pouvez plus directement atteindre la vacuité. Plus exactement, vous devez faire alterner ces deux formes de réalisations – de la sagesse réalisant directement la vérité à la perception ordinaire des phénomènes et ainsi de suite.
Les bouddhistes appellent ce besoin d’alternance la « souillure de la perception des deux vérités comme si elles étaient deux entités séparées ». Quand cette souillure mentale est purifiée, une seule conscience appréhende le phénomène conventionnel, tout en réalisant la vérité absolue. Il est alors possible de connaître en un instant toutes choses, la variété des phénomènes et leur mode absolu d’existence, la vacuité. C’est l’omniscience.
Lorsque vous avez vaincu les émotions aliénantes qui empêchent la libération du cycle de l’existence, mais aussi ces souillures subtiles, à ce moment-là, le « grand éveil » d’un bouddha est atteint. Une purification complète des sources de l’ensemble des problèmes et la pleine compréhension de la connaissance.
Le pouvoir de l’éveil
Selon les textes sacrés du Grand Véhicule, lorsque les souillures mentales sont purifiées, vous possédez les pleines capacités pour faire aboutir votre propre développement et celui des autres. Puisque vous avez dépassé l’obstacle qui vous forçait à alterner entre la réalisation directe de la réalité absolue de la vacuité et l’attention portée aux autres phénomènes, l’ensemble des problèmes est alors éliminé. Et vous pouvez atteindre l’omniscience. Maintenant, spontanément, vous pouvez apporter du bien-être aux autres. À travers d’innombrables éons, vous avez pratiqué uniquement pour aider les autres, et maintenant cette aide touche la totalité des êtres sans effort.
Depuis les origines, votre mental est vide d’existence inhérente, et dorénavant, purifié de ses souillures, cette vacuité de l’esprit est appelée le corps de l’essence de Bouddha. Le mental qui contenait autrefois simplement les semences des qualités de la bouddhéité est désignée maintenant par l’expression « corps de sagesse d’un Bouddha ».
Durant un temps incalculable d’éons, vous avez pratiqué résolument au profit des autres, avec cet altruisme décrit dans la prière votive :
Puis-je à chaque instant
Être disponible pour l’amour des autres
Comme la terre, l’eau, le feu, le vent, les remèdes
Et les forêts sont disponibles pour tous.
Le résultat de ce puissant développement de la volonté altruiste a provoqué la maturation de vos capacités mentales intrinsèques, si bien que l’esprit et le corps se confondent en une entité unique. Le mental le plus subtil et l’énergie qui le porte ne se distinguent plus, même dans la vie ordinaire. Et maintenant, dans l’état pur de l’accomplissement de la voie, l’entité unique de base formée du mental subtil et de son énergie vous permet de vous manifester de façons diverses, de la manière la plus adéquate pour aider les autres. Une forme, parmi celles que vous pouvez adopter, est le « corps de pleine jouissance » qui correspond à la prière votive émise ci-dessus, soit la volonté de demeurer, aussi longtemps que l’espace existe, pour soulager les souffrances des êtres à l’aide de pratiques altruistes réservées aux pratiquants de capacité supérieure. Le corps de pleine jouissance est également apparu à un moment important de l’histoire du monde sous forme de « corps de suprême émanation » pour enseigner la voie de l’éveil. Le Bouddha Shakyamuni était juste un tel être.
Au Tibet, en Chine, à Taïwan, au Japon, en Corée et au Vietnam, les adeptes du Grand Véhicule, et plus précisément du mode d’enseignement de Nalanda, premier centre universitaire bouddhiste en Inde, énoncent le principe des quatre corps de Bouddha : le corps d’essence-même, le corps de sagesse, le corps de pleine jouissance et le corps d’émanation. Ils proposent aussi trois entités, les deux premiers corps se regroupant sous le « corps absolu des attributs ». Dans ces pays, nous disons que notre maître, le Bouddha Shakyamuni, est apparu il y a plus de 2500 ans en Inde, mais qu’il était déjà éveillé depuis longtemps. Il est né dans ce monde sous forme d’un corps d’émanation suprême, comme il est apparu, à des moments idoines et semblables, dans une myriade de mondes, en rapport avec les inclinations et les intérêts des êtres vivants.
Ces phénomènes peuvent se manifester de différentes façons, sous la forme d’un pont ou d’un navire si besoin, ou encore, d’un chef spirituel, autre que bouddhiste, qui enseigne l’amour, la compassion, la tolérance et la félicité. Ainsi, du point de vue bouddhiste, beaucoup de personnalités d’autres religions peuvent être des émanations de bouddhas ou de bodhisattvas. Si les bouddhas peuvent apparaître sous forme de pont ou de navire, ils ont la possibilité de devenir des personnalités religieuses offrant des enseignements précieux aux millions d’êtres vivants. Ainsi, sous cet éclairage, et avec le sentiment profond que les religions du monde s’adressent utilement à différentes catégories d’individus, nous devons respecter l’ensemble des religions, car elles sont bénéfiques à la société.
Méditation contemplative
Considérez que :
1. Il est impossible que le continuum de la conscience, qui a une nature de lumière et de cognition, soit à jamais rompu. Si la sagesse sape l’ignorance, rien ne peut empêcher la continuité permanente de la conscience de base.
2. L’éveil est un état de libération, non seulement des émotions négatives induisant le cycle de l’existence, mais aussi des tendances conditionnantes élaborées dans le mental par ces émotions aliénantes.
3. Veillez aux tendances subtiles qui sont des forces latentes présentes dans le mental. Avant d’atteindre la bouddhéité, chaque fois que les phénomènes conventionnels apparaissent dans le mental, la vérité absolue n’est pas manifeste, et dès qu’elle l’est, ces phénomènes illusoires ne se forment plus.
4. Le besoin d’alternance est appelée la « souillure de la perception des deux vérités comme si ils étaient deux entités séparées ». Cet obstacle vous force à alterner la réalisation directe de la réalité ultime de la vacuité avec l’attention portée aux phénomènes du quotidien. Quand la souillure mentale est purifiée, une seule conscience appréhende les phénomènes illusoires, tout en réalisant la vérité absolue.
5. Il est alors possible de connaître en un instant toutes choses simultanément, la variété des phénomènes et leur mode absolu d’existence, la vacuité. C’est l’omniscience, le « grand éveil » d’un bouddha qui est purifié des origines mentales de l’ensemble des problèmes, la pleine connaissance de l’omniscience.
6. Cet état de pleine capacité est utile pour votre développement personnel mais aussi pour celui des autres. Vous avez éliminé tous les problèmes et atteignez l’omniscience. Cela signifie que vous pouvez apporter spontanément le bien-être aux autres.
7. Au stade de la bouddhéité, vous réalisez les quatre corps de Bouddha :
- Depuis les origines, le mental est vide d’existence inhérente, et dorénavant, purifié des souillures, cette vacuité de l’esprit est appelée le corps de l’essence même d’un bouddha.
- Le mental qui, autrefois, contenait simplement les semences des qualités de la bouddhéité, est désigné maintenant sous le terme corps de sagesse d’un bouddha.
- Dans la vie ordinaire, le mental le plus subtil et l’énergie qui le porte forment une seule entité, et maintenant, dans l’état pur de l’accomplissement de la voie, ce fait fondamental vous autorise à vous manifester de façons diverses, de la manière la plus adéquate pour aider les autres. Parmi ces formes, le corps de pleine jouissance en accord avec la prière votive émise de demeurer aussi longtemps que l’espace existe, pour soulager la souffrance des êtres à l’aide des entraînements altruistes réservés aux pratiquants de capacité supérieure.
- Le corps de pleine jouissance à sont tour, est apparu le moment venu dans une myriade de mondes sous différents corps d’émanation en rapport avec les inclinations et les intérêts des êtres vivants ; il s’est aussi manifesté à des moments à des moments opportuns dans l’histoire du monde comme « corps de suprême émanation » pour enseigner la voie de l’éveil (le Bouddha Shakyamuni fut un tel être).
Sa Sainteté le Dalai-Lama