51 FACTEURS MENTAUX
« Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, la foi n'est jamais une foi aveugle. » Lama Samten
La nature de notre esprit est pure et omnisciente. Toutefois, nous ne la reconnaissons pas comme telle pour le moment. Cela est dû à notre trop grande familiarité avec les facteurs mentaux négatifs et à notre manque d'habitude avec ceux qui sont positifs. En s'habituant à la présence des facteurs mentaux positifs et en diminuant notre contact avec ceux qui sont négatifs, nous pourrons graduellement éveiller notre esprit et trouver sa vraie nature, claire et lumineuse. Voilà pourquoi, il est si important de connaître la nature des cinquante et un facteurs mentaux.
La philosophie bouddhiste explique que notre esprit se divise en six consciences primaires. On compte les cinq consciences sensorielles et la conscience de l'esprit. Autour de l'esprit, qui ressemble à un ministre, gravitent les cinquante et un facteurs mentaux, semblables à ses sous-ministres. Ces derniers sont principalement en relation avec une des six consciences, celle de l'esprit.
L'esprit, constitué de ces six consciences primaires, expérimente la totalité de l'objet avec lequel il entre en relation. Chacun des facteurs mentaux appréhende une qualité spécifique de l'objet qu'il rencontre. Ces cinquante et un facteurs mentaux sont répartis comme suit :
A. Les cinq facteurs mentaux omniprésents;
B. Les cinq facteurs mentaux déterminant l'objet;
C. Les onze facteurs mentaux positifs;
D. Les six perturbations mentales racines;
E. Les vingt perturbations mentales secondaires;
F. Les quatre facteurs mentaux variables.
A. Les cinq facteurs mentaux omniprésents
Ces cinq facteurs mentaux sont toujours présents avec l'esprit, peu importe la situation. On les retrouve chez tous les êtres sensibles.
1. La sensation
Ce facteur mental a la nature d'expérimenter les objets. Cette expérimentation que l'on nomme sensation peut être de trois types: agréable, désagréable ou neutre. La sensation se produit après une action et est en relation avec le type d'action qui a eu lieu. Une action positive créera une sensation agréable et inversement, une action négative créera une sensation désagréable. On compte également six types de sensations, reliées aux six consciences primaires.
2. La discrimination
Elle consiste en la capacité d'identifier, de distinguer et de différencier un objet et ses caractéristiques propres parmi d'autres. La discrimination se produit lors de la réunion de la conscience, de l'un des organes des sens et de l'objet (exemple: la vue, l'œil et un arbre).
3. L'intention
Ce facteur mental a la propriété de diriger l'esprit et les autres facteurs mentaux dans un sens. Il fonctionne comme un aimant qui dirige l'esprit vers un objet choisi. On peut dire que ce facteur mental est le plus important.
4. Le contact
C'est ce facteur mental qui permet d'avoir des sensations. Ce n'est que lorsque l'organe des sens, la conscience et l'objet correspondants entrent en relation que le contact se produit et qu'une sensation est éprouvée.
5. L'attention
Elle a la propriété de diriger, focaliser et soutenir l'esprit sur un objet.
B. Les cinq facteurs mentaux déterminant l'objet
Ils se nomment ainsi car sans objet ils ne peuvent exister.
6. L'aspiration
Elle a la fonction de choisir un objet, d'y développer un fort intérêt et agit comme base à l'enthousiasme. Par exemple, en analysant les qualités d'un bouddha, croît en nous un fort désir d'arriver à ce même état. Sans l'aspiration, il est impossible de développer l'enthousiasme et de progresser vers un objectif.
7. L'appréciation
L'appréciation est le fait de reconnaître, après une investigation basée sur une connaissance valide, qu'un objet possède de réelles qualités. En conséquence, la conviction, basée sur la réalité et non de façon aveugle, est ancrée très solidement et ne peut être influencée. Elle est la racine du développement de toutes les qualités.
8. L'attention
Ayant trait à l'esprit, elle a la fonction de se rappeler des idées ou conclusions établies dans le passé, sans les oublier. Elle agit comme base à la concentration et à la vertu.
9. La concentration
La concentration est un facteur mental capable de se maintenir sur un aspect unique et concret de façon précise, pour un temps déterminé. Elle a comme base une bonne éthique de vie. Elle est la source du développement de la vision profonde, qui nécessite que l'esprit soit bien concentré pour pouvoir analyser la nature de la réalité.
10. La sagesse
Elle permet la discrimination correcte. Elle examine les caractéristiques ou la valeur des objets analysés et réalise la fonction d'éliminer le doute et l'indécision. Elle discrimine entre objets positifs, négatifs ou neutres. Pour couper le doute, il est important d'écouter, de réfléchir et de méditer sur l'objet à vérifier.
C. Les onze facteurs mentaux positifs
On nomme ces facteurs mentaux positifs ou vertueux car ils ont comme caractéristique d'apporter le bonheur.
11. La foi
Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, la foi n'est jamais une foi aveugle. Elle doit avoir trois caractéristiques: être basée sur un objet existant; possédant les qualités recherchées; et un potentiel valide. Portée sur des objets tels la loi de cause à effet ou les trois joyaux, la foi produit un état d'esprit libre d'afflictions mentales. Elle est la base du développement de toutes les qualités positives et élimine l'orgueil et les conceptions erronées. Telle une mère est nécessaire pour faire naître un enfant, la foi est la racine du chemin vers l'éveil. On peut distinguer trois types de foi:
a) La foi admirative: elle se développe en contemplant des sujets de méditation comme les qualités des trois joyaux. Elle nous emplit d'admiration en voyant leur excellence et nourrit notre motivation. Notre esprit devient alors comparable à l'eau extrêmement claire d'une rivière qui s'est calmée et dont les sédiments reposent au fond.
b) La foi croyante: elle surgit après une analyse et un raisonnement. Par exemple, après l'analyse de la loi de cause à effet, on en tire la conclusion qu'elle existe assurément. Cette foi est immuable, basée sur la raison.
c) La foi véhémente: elle a pour caractéristique de considérer l'objet sur lequel elle se porte comme vraiment atteignable. Cette foi s'accompagne d'un désir ardent d'atteindre des réalisations. Par exemple, en réfléchissant aux quatre Nobles Vérités, on va désirer de toutes nos forces arriver à leur pleine compréhension grâce à ce type de foi.
12. La dignité
Elle consiste en le contrôle par une personne de ses actions négatives par les trois portes pour son propre bien-être. Par exemple, au moment de voler un objet, on va réfléchir aux conséquences futures comme l'accumulation d'un mauvais karma ou la peur d'aller en prison.
13. La considération envers autrui
Elle consiste en un contrôle de ses propres actions négatives pour le bien-être des autres. Par exemple, je ne tuerai pas quelqu'un, car lui et sa famille en souffriront.
14. L'absence d'attachement
Elle a pour fonction de ne pas donner une valeur exagérée aux objets et aux personnes, et ainsi constitue un remède à l'attachement. Elle permet d'éviter l'augmentation du nombre d'actes non vertueux.
15. L'absence de haine
Elle permet le développement de l'amour et de la compassion, basée sur la résolution de ne pas nuire aux autres. Elle est l'antidote à la haine.
16. L'absence d'ignorance
Elle résulte d'une disposition innée, de l'apprentissage, de la contemplation ou de la méditation. Elle est le remède à l'ignorance et contribue à la sagesse qui réalise la nature de toutes choses et à la compréhension de la loi de cause à effet.
17. L'enthousiasme ou effort joyeux
Il désigne la pratique joyeuse des activités positives. Il engendre les qualités positives et accroît celles déjà instaurées. Il est l'antidote à la paresse et doit être dirigé pour des activités nous menant à l'éveil et non vers des préoccupations mondaines. Le Bouddha Maitreya a dit que l'enthousiasme est la meilleure des connaissances car c'est de lui que naissent toutes les activités positives.
18. La souplesse
Elle permet l'engagement dans n'importe quelle action vertueuse sans rigidité. Il existe deux types de souplesse: la souplesse physique et la souplesse mentale. La souplesse physique est obtenue grâce à la concentration et rend le corps souple et léger. La souplesse mentale retire à l'esprit sa rigidité et permet de le placer sur un objet désiré sans effort. La souplesse s'atteint au neuvième stade de méditation. À ce niveau, l'esprit est stable comme une montagne. Notre corps et notre esprit peuvent être utilisés à notre guise.
19. La vigilance
Elle possède deux fonctions. Elle évite que l'esprit ne s'engage dans des actions négatives et elle protége les vertus que ce dernier a déjà accumulées.
20. L'équanimité
L'esprit qui a développé l'équanimité n'est influencé ni par l'agitation ni par la léthargie. Il reste calme et concentré sur son objet sans effort. L'équanimité est atteinte au neuvième stade de méditation.
21. La non-violence
Libre de la pensée de nuire aux autres, la non-violence est le souhait ardent que tous les êtres soient libérés de la souffrance. Elle est liée à la compassion.
D. Les six afflictions mentales racines
Les afflictions racines ont comme caractéristique de rendre l'esprit agité et non-pacifié. Elles entraînent les actes non-vertueux et sont sources de toutes les souffrances.
22. L'attachement
Cette affliction dérive du désir qui, en relation avec un objet contaminé, a pour effet d'en exagérer les qualités et l'attrait. L'attachement est la cause de tout type de souffrance et crée une insatisfaction continue.
23. L'aversion
Elle rend l'esprit incapable de supporter un objet, une situation ou une personne donnée ou développe le désir de lui faire du mal. Tel le mouvement de la lune décroissante, l'aversion détruit toutes nos vertus jour après jour.
24. L'orgueil
Cette affliction nous conduit à nous croire supérieur aux autres. Une personne orgueilleuse se voit elle-même au sommet de la montagne et regarde les autres comme inférieurs. La pluie des qualités ne peut s'accumuler au sommet de la montagne de l'orgueil, mais plutôt sur les plaines fertiles de l'humilité.
25. L'ignorance
Elle est un état perturbé de l'esprit confondu sur la nature des phénomènes. Elle est la racine de toutes les afflictions mentales et du Samsara. Il y a deux types d'ignorance: l'ignorance de la loi de cause à effet et l'ignorance de la nature de la réalité.
26. Le doute
Le doute consiste en un état mental indécis et qui tire des conclusions erronées sur des points importants tels la loi du karma, les quatre Nobles Vérités ou les trois Joyaux. Si nous entretenons des doutes ou des pensées erronées face à ces sujets, il nous est impossible de progresser sur la voie spirituelle et d'éliminer la souffrance.
27. Les vues erronées
C'est un état affligé de l'intelligence qui perçoit les agrégats du corps et de l'esprit comme étant autonomes ou bien qui développe des conceptions erronées sur cette base, telles que les visions extrêmes du nihilisme ou de l'existentialisme.
E. Les vingt afflictions mentales secondaires
Elles découlent toutes des six afflictions mentales racines.
28. La rage
L'aversion est l'affliction racine à l'origine de la rage. Elle crée un désir de faire du mal à l'objet ou à la personne que l'on a pris en aversion et incite à trouver les moyens pour le faire. La rage est très dangereuse et peut causer beaucoup de tort.
29. La rancune
Également subordonnée à l'aversion, elle est comme un nœud dans la conscience qui se rappelle sans arrêt le mal qui a été causé par autrui. La conscience ne pouvant oublier et étant soumise au désir de se venger, cette affliction engendre l'impatience et la souffrance d'être incapable de supporter la situation.
30. L'hypocrisie
Elle dérive de l'affliction racine de l'ignorance. L'hypocrisie désigne le fait de vouloir dissimuler nos défauts, surtout lorsqu'ils sont exprimés par une personne bien intentionnée. Elle engendre le remords et rend le corps et l'esprit non pacifiés.
31. La malice
Issue de l'affliction racine de la haine, elle a comme conséquence l'usage de paroles blessantes en réponse à des paroles désagréables. Elle cause l'accumulation d'actions négatives par la parole et affecte notre bonheur et celui des autres.
32. La jalousie
Sous l'effet du désir de gloire, de réputation, de qualités ou des biens matériels d'autres personnes, la jalousie se développe et rend insupportable le fait que les autres les possèdent. Elle apporte immédiatement le malheur et empêche de développer des qualités.
33. L'avarice
L'avarice est motivée par l'attachement que l'on porte à notre réputation ou nos biens matériels. Elle implique que l'on ne souhaite ni les donner, ni en être séparé. La simple pensée d'en être séparé produit une grande souffrance et est la cause de la pauvreté future ou de la mauvaise réputation.
34. La suffisance
Liée à l'attachement ou à l'ignorance, la suffisance désigne l'attribution d'une qualité à notre personne sur la base de nos biens matériels ou de notre réputation et la volonté de rendre cette qualité évidente aux autres.
35. La malhonnêteté
La malhonnêteté consiste à cacher aux autres ses propres fautes ou défauts, par exemple, en évitant de donner une réponse claire à une question. Elle résulte d'un attachement à sa réputation ou sa richesse. Son antidote est de développer le respect envers soi-même et de la considération pour les autres.
36. L'arrogance
Elle fige l'attention sur nos qualités et produit un faux sentiment de confiance en soi. Elle fait surgir toutes les autres afflictions mentales. Elle empêche bien sûr d'acquérir toute qualité.
37. La cruauté
Exempte de toute compassion ou amabilité, la cruauté est une intention méchante, le désir de nuire aux autres ou la réjouissance du mal fait aux autres. La cruauté crée un karma négatif très puissant. Elle est opposée à la non-violence.
38. L'indignité
Ce facteur mental désigne le fait de ne pas éviter les actions négatives, ni pour des raisons de conscience personnelle, ni pour maintenir la pratique du Dharma. Il est l'opposé de la dignité.
39. Le mépris des autres
Le mépris des autres se définit par le désir de ne pas éviter les actions négatives à l'encontre des autres ou de leur pratique du Dharma. Ce facteur mental est l'opposé de la considération pour les autres et est source de toutes les afflictions mentales. La personne méprisante est alors totalement incontrôlée et agit sous l'influence de l'ignorance.
40. La torpeur
Cette affliction place l'esprit dans un état d'obscurité et d'insensibilité. Il lui devient impossible de comprendre ou de percevoir un objet clairement. L'esprit et le corps sont à ce moment incapables d'agir. Le fait de dormir insuffisamment ou en excès favorise le développement de la noirceur.
41. L'agitation mentale
Stimulée par l'attachement, elle empêche l'esprit de se fixer sur un objet positif et le dirige vers toutes sortes d'objets sensoriels. Cette agitation peut aussi être liée au souvenir d'une action positive.
42. L'incrédulité
Elle est sous-tendue par l'ignorance et s'oppose à la foi. Elle empêche la croyance aux phénomènes valides et réels tels la loi de cause à effet. Elle retire l'enthousiasme de la recherche spirituelle et incite à la paresse.
43. La paresse
Elle désigne le fait de s'affairer fortement à un objet qui offre un plaisir temporaire ou ne pas désirer ou ne pas avoir l'énergie de faire une action positive. Son antidote est l'enthousiasme. Il y a trois types de paresse :
1. La procrastination : remettre à plus tard la pratique du Dharma ou préférer dormir ;
2. Le défaitisme : avoir une attitude de diminution de son propre potentiel en se disant incapable d'actions vertueuses ;
3. L'attrait au négatif : investir tous ses efforts dans les préoccupations mondaines, génératrices de karma négatif.
44. La négligence
Souvent liée à la paresse, la négligence consiste à gaspiller sa précieuse vie humaine, à ne pas cultiver la vertu et à agir sans réfréner les actions négatives causées par les afflictions mentales.
45. L'oubli
Ce facteur mental réfère au fait de passer d'un objet positif à un objet négatif par oubli. Autrement dit, l'oubli désigne le fait de ne pas maintenir à l'esprit un objet vertueux précédemment établi et de diriger, sous l'effet de l'attachement, la mémoire vers des objets non vertueux distrayants.
46. L'indolence
L'indolence, causée par le manque d'attention, a pour conséquence de nous donner une conscience partielle de la conduite du corps, de la parole et de l'esprit et de nous rendre indifférent aux phénomènes. Elle diminue le pouvoir de l'intelligence et laisse libre cours aux activités négatives.
47. La distraction
Cela désigne l'incapacité à se fixer sur un objet positif et à ne pas se laisser disperser. Elle empêche l'attention.
F. Les quatre facteurs mentaux variables
Ces facteurs peuvent être positifs, négatifs ou neutres en fonction de la motivation de la personne ou de la situation.
48. Le sommeil
Le besoin de sommeil apparaît quand le corps ou l'esprit sont épuisés et demandent le repos. Pendant le sommeil, l'esprit perd sa clarté et toutes les consciences sensorielles cessent leur activité. L'esprit est donc incapable d'appréhender son propre corps. Le sommeil peut être positif, négatif ou neutre dépendamment de la motivation au moment de s'endormir.
49.Le regret
Le regret désigne un repentir, c'est-à-dire un mécontentement de l'esprit lié au souvenir/rappel d'un événement fait dans le passé. Si nous regrettons une activité positive, cela est négatif. Si nous regrettons une activité négative, cela est positif. Si nous regrettons une action neutre, cela est neutre.
50. L'examen général
Lié à l'intelligence ou l'intention, ce facteur cherche à obtenir une compréhension de la nature grossière des objets. Par exemple, avec une motivation de bodhicitta, l'investigation sera positive.
51. L'analyse précise
Liée à l'intelligence ou à l'intention, elle cherche à obtenir une compréhension de la nature subtile de l'objet. Par exemple, avec une motivation d'attachement, l'analyse sera négative.
Ce texte présente de façon générale l'esprit et ses différents facteurs mentaux. Il importe de souligner qu'en faire une simple analyse intellectuelle ne nous sera pas vraiment bénéfique. Par exemple, si nous allons chez le médecin pour soigner une maladie, le simple fait de connaître intellectuellement le médicament ne nous rendra pas la santé. C'est la consommation même du médicament qui nous guérira. De la même manière, pour que notre analyse porte ses fruits, nous devons intégrer ces enseignements à notre esprit.
Pour y parvenir, nous devons observer notre esprit sous l'oeil de la vigilance. Dès qu'une affliction racine ou un facteur mental négatif apparaît, il ne faut pas les laisser se développer mais leur appliquer leur antidote. Si l'on réalise qu'après quelques mois ou quelques années notre esprit est moins soumis à ces afflictions mentales, on peut voir que notre pratique du Dharma a réussi.
Guéshé Lobsang Samten